GOODBYE CHUCK. LE ROCK N’ ROLL EN DEUIL.

Ce samedi 18 mars 2017, le rock n’ roll a perdu l’un de ses plus grands représentants. Chuck Berry est décédé à l’âge de quatre vingt dix ans, laissant derrière lui une immense tristesse et une profonde nostalgie mais aussi une œuvre musicale gigantesque. Quatre vingt dix piges, un sacré score ! Arriver à un âge si avancé sans trop de problèmes de santé et après avoir effectué une telle carrière relève de l’exploit.

On ne peut que saluer cette performance en levant un verre à la mémoire de l’artiste.
C’est sûr, il fallait s’y attendre, il était plus proche de la fin que du début.

Cependant, son décès marque la fin d’une époque. Celle des pionniers qui faisaient de la musique avec un minimum de matériel et un maximum d’inspiration. Celle de la découverte d’un son nouveau. La force brute, en quelque sorte.
Mais Chuck possédait quelque chose de plus par rapport aux autres rockers des années cinquante. Il était différent.
Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter « Roll over Beethoven » avec son intro de guitare intemporelle, tranchante comme un rasoir mais légère comme un nuage. Un mélange de hargne contenue et de joie de vivre. Un cocktail de violence, de rage, d’insouciance et de liberté. L’essence même du rock n’ roll !
Bien sûr, Chuck s’était inspiré du jeu de Charlie Christian et avait un peu emprunté à Muddy Waters mais il n’avait jamais caché ces influences. Quand on lui affirmait qu’il avait inventé un style, il se bornait à répondre que tous les éléments étaient déjà présents dans le blues et le jazz et qu’il s’était contenté de les adapter. Humilité ? Fausse modestie ? Difficile à dire.

En attendant, Chuck est le premier à avoir accéléré la rythmique du blues pour la transformer en « pompe rock » (à ce titre, les mecs de Status Quo lui doivent beaucoup). Il s’est également forgé une marque de fabrique en jouant ses solos et en faisant ses tirés sur plusieurs cordes en même temps. Il a fasciné son public avec son jeu de jambes novateur (la fameuse « duck walk » ou « marche du canard ») qui lui a valu son surnom de « crazy legs ».

Avec sa présence scénique époustouflante, il a posé les bases du concept de « guitar hero ».
C’est aussi le premier rocker à composer des textes intelligents, souvent à double sens, mêlant humour et critique sociale. Il a toujours soutenu que son succès résidait dans les thèmes de ses chansons : la vie de tous les jours, les voitures, les filles, le boulot, l’amour. Des thèmes pouvant correspondre à tout le monde. D’accord, mais élaborer des textes sur la vie des adolescents quand on a une trentaine d’années témoigne d’une certaine capacité d’écriture. D’ailleurs, John Lennon n’hésitait pas à le qualifier de véritable poète et clamait haut et fort que « si l’on devait donner un nom au rock n’ roll, ce serait celui de Chuck Berry ».
Et puis, dès le début, Chuck a mélangé le blues noir et la country blanche pour en faire un rythme endiablé et entraînant (« Maybellene » en 1955). Chantant sans aucun accent, beaucoup de gens pensaient même qu’il était blanc en entendant ce titre à la radio. Compte tenu de tout cela, on pourrait prétendre sans problème que Chuck Berry était le vrai « king of rock n’ roll ».

Pourquoi ?
Pour sa musique et son talent (auteur, compositeur, chanteur, guitariste inventif et showman incomparable).

Pour l’influence majeure qu’il a exercée sur de nombreux artistes, reconnus aujourd’hui, qui ont tous joué des morceaux de Chuck Berry à leurs débuts.Sans Chuck Berry, pas de Beatles ou de Rolling Stones, ni même de Jimi Hendrix. Pas de Status Quo, de Dave Edmunds, de George Thorogood ou de Bruce Sprinsteen. Pas d’AC/DC non plus (on se doute aisément où Angus Young a puisé son inspiration pour une partie de son jeu de scène). Tous lui ont payé leur tribut et lui ont rendu hommage (même Judas Priest avec une version hallucinante de « Johnny B. Goode »). Les Beach Boys ont connu un énorme succès avec « Surfin’ USA », largement pompé sur « Sweet little sixteen » (Chuck les avait assignés en justice et remporté le procès). Des chanteurs de l’Hexagone ont également repris certains de ses titres (Johnny Halliday et surtout Eddy Mitchell qui a réalisé un nombre impressionnant d’adaptations en français des morceaux du Maître). Des stars de la country ont aussi repris ses chansons (Emmylou Harris, Johnny Paycheck).

Quant à la confrérie du southern rock, elle n’est pas non plus restée insensible à ce génie du rock. Ce n’est pas pour rien que 38 Special et Doc Holliday ont choisi d’enregistrer « Around and around » et « I’m a rocker » sur leurs premiers albums respectifs (et de reprendre ces titres en concert). Charlie Daniels a invité Ted Nugent pour jouer « Carol » lors d’une Volunteer Jam et il a nommément cité Chuck Berry dans sa chanson « Let it Roll ».

Et puis aussi, pour la façon qu’il avait de mettre un doigt dans le cul du système, en douceur et avec le sourire, gentiment mais fermement. Rebelle et séducteur.La grande classe !

Bien sûr, on pourra toujours avancer de nombreuses réserves à son sujet.
Son amour immodéré des dollars (avant le début d’un concert, il demandait toujours une rallonge au cas où cela aurait marché). Son obsession du profit (il considérait ses guitares comme des instruments de travail déductibles de ses impôts et ses voitures de collection comme des investissements).

Sa radinerie légendaire (Eric Clapton reste encore soufflé par l’anecdote suivante : sur le plateau de tournage du documentaire « Hail, hail, rock n’ roll », Chuck a loué son ampli de guitare à un musicien qui en avait besoin pour dix minutes). Ses shows approximatifs (il se contentait de groupes locaux sans répétition préparatoire) et sa manière
de s’en foutre royalement, jouant souvent à la limite du faux.

Ses nombreux démêlés avec la justice au cours des décennies : braquage à l’adolescence, plusieurs affaires de fraude fiscale et de mœurs (la dernière en date, sa condamnation pour avoir installé des caméras dans les toilettes pour dames de son restaurant), ses séjours en prison.

Son infidélité notoire (sa femme a dû porter une sacrée paire de cornes depuis leur lune de miel).
Son caractère de cochon (Keith Richards se souvient encore de son punch dévastateur).
Les titres qu’il aurait piqué à Johnnie Johnson (ils étaient d’ailleurs en procès mais le pianiste avait rendu l’âme avant le guitariste, classant ainsi l’affaire).

Mais, malgré tout ça, Chuck Berry restera pour toujours un monstre sacré, un monument incontournable,
une légende du rock n’ roll.

Et en dépit de toutes les critiques dont il faisait l’objet, c’était toujours un privilège de le voir sur scène. Un concert de Chuck Berry, c’était comme un gigantesque juke box balançant une succession de hits incontournables et magiques. Chuck égrainait ses succès d’un air malicieux devant un public ravi qui en redemandait.

Le concernant, nous avons tous nos propres souvenirs, les meilleurs et les pires.

Personnellement, je n’oublierai jamais son show au Palais des Sports en juillet 1987.

Il passait avant BB King et il avait emmené son vieux pianiste Johnnie Johnson qui, malgré son âge avancé, martelait ses touches noires et blanches comme sur les vieux disques Chess. La salle était électrisée, ralliée corps et âme à la cause de Chuck « crazy legs » Berry. Un grand concert dans la pure tradition du rock n’ roll ! Mes amis et moi avons toujours gardé un souvenir impérissable de cette soirée.

Pour une autre raison, ma mémoire retiendra aussi sa prestation discutable à l’Olympia en janvier 2005. Déjà, ce n’était pas trop top au niveau des solos. Puis, au bout d’une demi-heure, sa gratte a commencé à faire des siennes (même un monsieur d’âge respectable peut venir à bout d’une Gibson ES 355 demi-caisse en la secouant comme un prunier). Plus de son et un ronflement disgracieux qui s’échappait de son ampli. Placé à deux rangs de la scène, j’ai gueulé « Change your jack, Chuck ! » (« Change ton cordon, Chuck ! »). Chuck m’a alors répondu avec un air amusé et un sourire entendu « I don’t even got one, brother ! » (« Je n’en ai même pas un, mon frère ! »).

Outre le fait d’avoir entretenu une courte discussion avec mon idole en pleine salle de l’Olympia, cette petite anecdote nous renseigne sur le comportement de l’artiste. Pas même un jack de remplacement ! Emportait-il seulement un jeu de cordes de rechange ?

Après, Chuck a continué son set mais nous n’avons pas eu droit au rattrapage de ce quart d’heure perdu. Au bout du compte, moins d’une heure de concert. Ça faisait cher les vingt secondes !
Cependant, on pardonnait tout au grand Chuck Berry !

Mais voilà, c’est fini. Il n’est plus là. Et une bonne partie de notre jeunesse s’est barrée avec lui. Avec la mort de Chuck, ce n’est pas une page ou un chapitre du grand Livre du Rock qui se tourne mais un tome entier qui se referme.
Chuck Berry restera pour toujours la référence ultime en matière de rock n’ roll.
Et tant que des rockers (même inconnus) revisiteront son répertoire, sa musique continuera de vivre (et un groupe de rock qui ne joue pas du Chuck Berry, ce n’est pas un groupe de rock).

Mais lui, maintenant, il s’en fout bien. De toute façon, il s’en est toujours foutu.
Tiens, il est peut-être parti à la recherche de son célèbre « Johnny B. Goode ».

Eh oui ! En 1977, ce morceau a été gravé sur le fameux « disque d’or » embarqué à bord de Voyager (une sonde envoyée se perdre aux confins de l’univers et contenant des informations sur les principales inventions et réalisations artistiques humaines, à l’attention d’éventuelles intelligences extra-terrestres).

Ainsi, dans le vide intersidéral, Chuck Berry côtoiera Beethoven pour l’éternité.
Pas mal pour un petit Noir du Missouri !

Olivier Aubry (photos et texte)

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